Mes vacances toute nue, c'est sacré ! Mes copines et moi sommes devenues accros, s'enthousiasme Sibylle, 33 ans, ingénieur dans le marketing à Nantes. La première fois, ça fait bizarre, on se sent un peu gauche et vulnérable et, bien sûr, on n'ose pas trop regarder les hommes de peur de bloquer... et de passer pour de grosses perverses, plaisante la jeune femme. Mais au bout d'une demi-heure tout paraît normal et surtout, on se sent tellement bien sans vêtements ! » Sibylle et ses amies ne sont pas une exception, elles font partie de ces 400000 Français conquis par le naturisme ces cinq dernières années, dont 40 % sont des couples de moins de 35 ans".

AUTRE TEMPS, AUTRES MOEURS

Ces nouveaux venus dynamisent une pratique vieillissante, qui a longtemps souffert d'une image ringarde. Ils n'ont pas la même approche que leurs aînés ni les mêmes loisirs. Fini la bronzette jusqu'à s'en tanner le cuir, ou l'apéro qui s'éternise devant la caravane (quoique. . .). Place aux concerts, parties de bowling, courses à pied, randonnées, dîners au restaurant et autres cours de méditation... ces activités pratiquées dans le plus simple appareil fleurissent partout dans l'Hexagone et font un carton en Europe. Claudio Toanna dispense des cours de yoga nu à Paris «Cette discipline est en plein essor, je reçois de plus en plus d'appels de personnes qui veulent découvrir cette pratique. Se débarrasser du superflu, prendre soin de soi, méditer, faire du bien à son corps... tout cela est dans l'air du temps, les gens ont besoin de souffler. Entre les enfants et le boulot, le stress est très présent dans la vie quotidienne», analyse-t-il. Si, au début, ces activités saugrenues pouvaient prêter à sourire, les professionnels du tourisme sont ravis de l'ampleur du phénomène. Il faut dire que deux millions de Français sont naturistes, et que 15 % de la population se dit prête à tenter l'expérience"*. Adrien Chevillotte organise des croisières depuis quatre ans : «Ces deux dernières années, notre activité a littéralement explosé, nous ne pouvons même plus répondre à la demande», s'exclame-t-il. Pour Pierre Bisseuil, directeur de recherche à l'agence conseil Peclers Paris, l'émergence de cette tendance est facilement explicable : «Dans le monde moderne, trop urbanisé, l'homme a besoin de se reconnecter aux éléments en recréant des rituels avec ses pairs, comme au sein d'une tribu. C'est la notion "d’en sauvagement" chère au sociologue Michel Maffesoli. »

UN RETOUR À LA NATURE ET AUX VRAIES VALEURS «Sentir le soleil sur ma peau, le vent entre mes poils, le sol sous mes pieds m'a fait prendre conscience de ma condition de mammifère. Du coup, j'ai fortement réduit ma consommation de viande et je me suis inscrite dans une Amap », déclare Sibylle, qui a vu sa conscience écologique s'accroître au fur et à mesure qu'elle quittait ses vêtements. Mal-bouffe, scandales sanitaires, maltraitance animale... les néo-naturistes ne se sentent pas en phase avec notre société violente, individualiste où tout va beau-coup trop vite. Ils cherchent un mode de vie alternatif. «Les moins de 35 ans sont beaucoup plus sensibles que leurs parents aux problèmes d'environnement et à la préservation de la planète. Ils pensent à leurs enfants, aux générations futures. Ils s'intéressent au bio, aux activités liées au bien-être; d'où cet attrait pour le naturisme qui, comme son nom l'indique, est une manière de vivre en harmonie avec la nature », observe Yves Leclerc, vice-président de la FFN (Fédération française de naturisme). Bien que clamant un retour aux sources, le naturiste 2017 n'a rien d'un survivor façon «Koh-Lanta». Pas question pour lui d'attraper un poisson à main nue ou d'allumer un feu avec un silex. Comme tout le monde, il dispose d'un barbecue électrique et comme tout le monde il va à la supérette (bio, de préférence). «L'époque des réchauds et des tentes canadiennes est révolue; constate Éric, le président du Club Soleil de Verrières, un camping familial de l'Aube. La jeune clientèle ne boude pas le confort et ne renie pas le progrès, elle arrive avec téléphone portable, tablette, ordinateur, «Gros, maigres, vieux, jeunes, handicapes. tout le monde est accepte et respecté, personne ne se mate, personne ne se moque.» télévision. J'ai dû installer le WiFi pour répondre aux nombreuses demandes.»

NE PLUS VIVRE CACHÉS

Septembre 2016, le naturisme fait le buzz. Pour la première fois, l'Apnel (Association pour la promotion du naturisme en liberté) et la FFN sont accueil-lies à la mythique Fête de l'Humanité. Le stand ne désemplit pas et les images cocasses des «culs nus» inondent les médias. Deux semaines plus tard, comme une reconnaissance officielle, la mairie de Paris annonce la création 6d'un espace naturiste dans la capitale, une façon de s'aligner sur l'offre de grandes villes européennes comme Berlin ou Barcelone et d'asseoir la domination française— car, on le sait peu, mais la France est la première destination naturiste au monde. Chaque année, elle accueille deux mil-lions d'étrangers. L'annonce parisienne est surprenante, la polémique est vive, le projet reporté, l'info abondamment relayée et la FFN ravie de ce coup de com gratuit et inespéré ! UN REFUS DES NORMES Crâne rasé, barbe, tatouages, Julien Claudé-Pénégry est à mille lieues de l'image du beauf claquettes/chaussettes que certains se font encore du naturiste. Très investi, comme en témoigne son compte Instagram, il est, entre autres, responsable adjoint à la communication de l'ANP (Association des naturistes de Paris) «Gros, maigres, vieux, jeunes, handicapés, femmes qui ont perdu un sein à cause d'un cancer... tout le monde est accepté et respecté, personne ne se mate, personne ne se moque. Et puis, les barrières sociales disparaissent. Nus, c'est quand même plus difficile de re-connaître le cadre de l'ouvrier», explique-t-il. Un tour à la seule piscine naturiste (certains soirs) de Paris suffit pour s'en rendre compte. L'ambiance est conviviale mais studieuse. Ici, on ne vient pas pour se montrer mais pour enchaîner les longueurs, et on serait presque déçue de ne pas voir plus de gens se pro-mener tout nus autour du bassin ! «Ici, nous ne sommes jamais importunées », expliquent Mélissa et Chloé, 27 et 33 ans, qui font partie des très rares escortes présentes ce soir-là. «C'est plus difficile pour les femmes de se mettre nues dans un milieu urbain. Et surtout, elles sont de plus en plus complexées. "Textiles" comme naturistes, en majorité, elles n'ai-ment pas leur corps », s'alarme un maître-nageur. Mais pour Sibylle, le naturisme a été comme une thérapie après son accouchement «Je me sentais grosse et moche. Le fait que personne ne me regarde m'a fait beaucoup de bien. Et puis, être entourée de corps qui n'ont rien à voir avec ceux des publicités ou des magazines fait relativiser, rigole-t-elle. C'est surprenant, mais je recommande le naturisme à toutes les personnes complexées. C'est une vraie libération. » Judith a 29 ans. Elle vit en Gironde. Élevée par une grand-mère naturiste, elle pratique depuis son plus jeune âge: «Je suis ravie de ce boom naturiste. Mais ça ne doit pas non plus devenir la nouvelle activité ultra-branchée qui risquerait de dénaturer la pratique. Je n'ai pas envie que des hipsters débarquent avec des food-trucks et des smoothies à quinze euros, on n'est pas à Coachella, s'inquiète-t-elle. Il faut garder à l'esprit que le naturisme est avant tout un art de vivre, une philosophie, et pas une simple mode.