Officiellement, on jouit comme on respire. Depuis qu'on est en âge de parler sexe avec les copines, sans (trop) glousser, c'est à celle qui aura grimpé au rideau le plus haut. Essayez, pour voir, la prochaine fois que vous retrouvez les vôtres. Tentez, ne serait-ce qu'un vagué «Non, mais moi, y a des fois, j'ai vrai-ment pas envie», voire, pour les kamikazes, un « Bof, moi, tu sais, le sexe... T'as pas un paris-brest, plu-tôt ? ». Autour de vous, silence. Mines un peu compatissantes, au mieux. Totalement atterrées, au pire. La Révolution

Sexuelle réclamait le droit de «jouir sans entraves» aujourd'hui, l'appel est devenu diktat. Il faudrait faire l'amour partout, tout le temps, dans tous les sens et adorer ça à chaque fois. Sauf que... Quand les copines tournent les talons et qu'on se retrouve seule (ou avec des chercheurs en sociologie), la réalité est tout autre» : une femme sur dix n'a eu aucun rapport au cours des douze derniers mois ; une sur deux en a eu, oui, mais pour faire plaisir à son partenaire, sans en avoir envie ; une sur quatre a eu un rapport, en a bien eu envie, mais pas d'orgasme à l'arrivée. Ça va tout de suite un peu mieux, non, niveau déculpabilisation ?

Le fait est qu'on n'est pas des machines. On n'a ni de désir sur commande ni d'orgasme avec Deliveroo. Et que le propre de la libido étant d'être une matière vivante, on a toutes, si on essaie d'être honnêtes deux secondes, des périodes « avec » et des périodes « sans ». À partir de là, rien d'étonnant à ce que pour certaines, le désir et le plaisir semblent s'être faits la malle, et pour longtemps. Reste à com-prendre pourquoi... Parce que c'est pas génial Julie a 32 ans et quand elle regarde en arrière, le tableau n'est pas reluisant «Au départ, je pensais que je tombais sur de mauvais amants. Entre celui qui jouis-sait en deux minutes chrono, juste avant de s'endormir, celui pour qui les préliminaires étaient une légende urbaine, et celui qu'il fallait consoler à chaque> fois parce qu'il n'arrivait pas à maintenir son érection... ai fini par me dire que c'était moi qui les attirais et que j'avais un problème. Peut-être, qu'au fond, je ne suis pas faite pour ça ?» Euh... Non. Personne n'est «fait », ou pas, pour les joies du sexe. On est tous constitués biologiquement pour avoir une sexualité, nuance. Le reste est une affaire de do-sage (voir encadré) ou de rencontre : «Avec soi et avec l'autre, souligne la psychanalyste et sexologue Catherine Blanc**.

Si je ne guide pas mon partenaire vers ce que j'aime, il aura du mal à me donner du plaisir.

Or, moins on a de plaisir, moins on désire. Et on finit par conclure qu'on n'aime pas faire l'amour s'épargnant du même coup un questionnement délicat, mais salutaire.» Ce que des millénaires de morale judéo-chrétienne ont réussi à nous faire entrer dans le crâne, c'est que la sexualité se construisait à coups de dogmes immuables, si possible collectifs c'est bien/c'est mal, et c'est pour tout le monde pareil. Or, la sexualité étant la résultante de facteurs liés aussi bien à l'éducation, à la culture, qu'à la génétique... Il y a autant de désirs et de façons d'avoir du plaisir que d'individus. Reste à connaître le sien ça, j'aime, beaucoup/pas du tout/beurk. Et, sur-tout, à lui permettre d'évoluer — ce que j'aime aujourd'hui, je ne l'aimerai peut-être pas demain, parce que j'ai eu un bébé/j'ai changé de job/j'ai la grippe. Parce que je me sens contrainte Quand Pauline a embrassé un garçon pour la première fois, elle avait 15 ans. Et 18 quand elle a fait l'amour. Toujours un peu à la traîne par rapport à ses copines, toujours un peu forcée «Parla bande, par la honte de ne pas l'avoir en-core fait. Sauf que ça ne changeait pas grand-chose puisque je n'éprouvais pas le plaisir qu'on m'avait vanté : donc, soit je me taisais, soit je mentais et je disais que j'avais adoré ça. » À 37 ans, Pauline a décidé de faire une pause: depuis un an, elle n'a pas fait l'amour et pour Pins-tant, elle n'en souffre pas. « La souffrance vient d'abord des autres, explique Catherine Blanc. Du monde qui nous entoure et qui, aujourd'hui, nous pousse dans du toujours plus. La norme d'une hyper sexualité ressemble à une injonction parentale qu'on peut être tentée, un temps, de rejeter. Si c'est une défense, temporaire, elle est bienvenue. En revanche, elle n'est toujours pas un signe de liberté.» Qu'on se conforme à une norme, ou qu'on la rejette, on continue de vivre sa sexualité autour d'elle. Oubliant, au passage, qu'on existe, nous, comme individu. Avec nos fantasmes ou nos angoisses. «Le plaisir nous fait découvrir des facettes de nous qu'on ne soupçonnait pas, poursuit la psychanalyste. Le désir, lui, fait entrer l'autre dans notre bulle, au coeur d'une intimité, qu'on a appris à protéger. Plus on a été éduquée dans l'idée du contrôle, plus on nous a appris que les pulsions c'était sale, plus on aura de mal avec le lâcher prise nécessaire pour une sexualité épanouie.» Oubliez le regard qu'on porte sur vous. Et jetez un oeil, plutôt, à ce qui vous a construite quelles images aviez-vous de la sexualité, enfant ? Comment a été vécue, à la maison, l'émergence de votre sensualité? C'est peut-être ici que se cache la clé de votre sexualité—pas celle de la voisine.

Parce que j'en ai peur Dans nos contes pour enfants, le prince et la princesse sont totalement asexués. À peine un chaste baiser échangé et paf ! Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Oh, le beau miracle de la vie... Qui occulte totalement tout ce qu'il peut y avoir d'animal, voire de brutal, dans la sexualité. «Avoir envie de l'autre, sourit Catherine Blanc, c'est avoir envie de le prendre et de le posséder. Il y a une forme d'agressivité dans le désir sexuel, qui peut faire peur à certains. Comme s'il y avait le risque d'une violence réelle, exercée contre l'autre. Alors qu'il n'en est rien. À moins, bien sûr, qu'il n'y ait eu une expérience traumatique, et que chaque rapport sexuel la réactive. » Si, au fond de vous, vous sentez que c'est de cela dont il s'agit, faites-vous aider, sans attendre. Vous méritez qu'on prenne soin de vous. Pour toutes les autres grandir, c'est apprendre à vivre avec ses pulsions et ses fantasmes, plutôt que de les nier. Tous ne seront pas très glamour, mais soyez tranquille : personne ne vous attend, en embuscade, pour vous punir.